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GÉRER OU NE PAS GÉRER : TELLE EST LA QUESTION

Francis-Benoit Pelletier

Conseiller principal – Rémunération


Le soleil se lève timidement sur la merveilleuse Montréal. Éric, gestionnaire de longue date dans le secteur des services, est d’attaque pour une grosse journée au bureau. Les longues heures, il connaît. Les rencontres interminables, il les accumule les unes à la suite des autres avec le sentiment du devoir accompli. Il ne se doute pas que dans les prochaines heures, son univers sera bouleversé par un terrifiant micro-organisme.


Les nouvelles tombent les unes à la suite des autres. Les notifications de La Presse s’épuisent à notifier. Le Québec est sur le pied de guerre contre une menace invisible ! Un vent d’inquiétude et d’euphorie plane dans le bureau comme lorsque nous étions enfants et que les lumières de l’école s’éteignaient par une belle journée de tempête, soudain une voix à l’interphone nous annonçait la suspension des cours pour la journée.


Les employés quitteront le bureau pour une durée indéterminée en télétravail. Assailli par la panique, Éric se met à douter, d’abord de ses employés et de leur capacité à travailler avec efficacité à distance, puis de lui et de sa capacité à gérer dans ce contexte. Comment pourra-t-il être utile dans son rôle de gestion alors que ses employés ne seront physiquement plus sur les lieux du travail ? Le mystère est absolu et entier. Il se dirige à toute vitesse vers le bureau du directeur des ressources humaines pour demander conseil, mais à voir le regard de ce dernier, il se rend bien compte que tous deux partagent les mêmes inquiétudes. Pas simple d’être essentiel dans un contexte où la vie normale est bousculée.


La réponse se trouve dans un livre pour enfant qui a pour titre : Nous sommes là : notes concernant la vie sur la planète Terre d’Oliver Jeffers qui a été adapté avec brio et est disponible sur Apple TV. Nouvellement papa d’un petit garçon prénommé Finn, il se questionne sur la façon dont il pourra aider son enfant à faire face au monde, à lui partager ses connaissances et cela lui donne le vertige parce qu’il y a tant de choses qu’il ne connaît pas non plus. Alors sa conjointe, l’enfant dans les bras, l’invite à s’asseoir près d’elle et lui dit : « Quand tu es perdu, fie-toi à ce que tu es sûr de savoir et essaie de résoudre une question à la fois. »


Alors, allons-y !!!


Ce qu’Éric et notre DRH connaissent : c’est l’imminente complexité de l’humain et l’utilité de la gestion. C’est une valeur sûre. Nous n’avons pas à vous sortir d’études scientifiques sur le sujet, l’histoire le démontre. C’est un axiome, tout comme deux points distincts quelconques d’un plan déterminent une et une seule droite, la gestion des humains sera toujours d’actualité dans nos organisations. Le travail de gestion ne disparaîtra pas. Même dans les pires dystopies : l’humanité aura toujours besoin de leaders. Et le leader s’entoure de gens pour le conseiller, notre DRH peut souffler. Le voilà rassuré…


À tous les gens qui sont comme Éric, dans l’expression « gestion à distance », il y a le mot gestion. Et c’est ce dernier qui est le plus important, que cette gestion soit à distance ou en présence. Alors, vous excellez dans la gestion en présentiel ? Nous pouvons parier que vous saurez vous adapter et briller en mode virtuel. Dans une ancienne vie, nous l’avons constaté, une gestionnaire est passé d’une équipe 100 % au bureau à une équipe en grande partie virtuelle. Le taux de mobilisation et l’indice de qualité de gestion sont demeurés stables : 95 %. Le gestionnaire qui a toutes les habiletés pour tisser un lien de confiance avec ses employés, développer une relation sincère et authentique, contribuer à leur développement et gérer les résultats n’a pas à douter, il a tout pour réussir.


Pour les autres, il y a toujours les ateliers sur la gestion à distance, mais honnêtement le problème n’est pas là. Nous serions surpris que vous ayez une épiphanie. Il y aura certainement des trucs et des moyens intéressants sur le comment, mais le fond, lui, restera le même ; la relation que vous êtes ou non capable de créer restera la même. L’emphase ne doit pas être mise sur la distance, mais sur la gestion. Questionnez-vous sur votre façon de gérer, sur ce qui vous rend insécure. Vos employés ne sont pas fiables, ils ne sont pas motivés. Pourquoi exactement ? Le leadership est un art qui consiste à amener une personne ou un groupe de personnes à mettre les efforts pour arriver à des résultats précis dans un contexte donné (Lainey, 2008). Le travail à distance ou en présence change peut-être la façon d’intervenir, mais pas les habiletés des gestionnaires à intervenir.


Il y a bien évidemment l’organisation dans laquelle vous évoluez, le problème n’est pas toujours le gestionnaire immédiat, mais la culture en place et le style de gestion au sommet de la pyramide. Êtes-vous dans la bonne organisation ?


Les entreprises doivent donc se questionner sur l’organisation du travail et les compétences requises pour leurs gestionnaires. Dans un récent article d’Olivier Schmouker, deux entreprises sur cinq comptent revoir leur façon de faire. Est-ce suffisant ? Cela nous paraît faible. Mais, voyons voir si ces intentions se concrétisent dans un avenir rapproché et perdurent dans le temps. Chose certaine, chaque entreprise devrait se questionner. Autrement, il semble inévitable qu’elles aient un problème à court moyen ou moyen terme. Quelles leçons retenons-nous de la situation, quels apprentissages faisons-nous ? Est-il nécessaire de revoir nos modes de travail ? Pouvons-nous d’ores et déjà changer nos façons de faire ? Quels principes de gestion devons-nous revoir et de quelle façon concevons-nous l’humain ? Si cette réflexion ne se fait pas, nos organisations prennent peut-être le risque de voir leur image de marque en souffrir et leurs employés les quitter.


Barry Shwartz, dans un Ted, mentionne que la façon dont nous concevons le travail est inadéquate. Selon lui, nous ne découvrons pas l’être humain, nous le créons. Adam Smith et Fredrick Taylor avaient une conception très dépressive de l’humain alors les organisations qui ont adopté des modes d’organisation du travail basé sur cette conception ont effectivement découvert des individus aliénés. Or la littérature en gestion démontre qu’il est possible d’avoir de meilleurs résultats en considérant l’humain comme autre chose que l’extension d’une machine. Mais pour y arriver cela implique de changer les paradigmes de gestion et de mettre au cœur de nos relations professionnelles : la confiance.


Oui, la gestion à distance implique de faire confiance. Oui nos gestionnaires doivent instaurer un lien de confiance avec leurs employés et les employés doivent également faire de même. Ce n’est pas simple. C’est tout le défi de la gestion.


En passant, le fait de dire : « Fais-moi confiance » ne développe pas la confiance. La confiance se développe à long terme, au fil de la relation. Alors, avis à ceux qui négligent le « small talk », il est peut-être temps de vous y mettre et de façon sincère.


Mais comment développons-nous la confiance ?


Selon Frances Frei, professeur à Harvard, la confiance peut être schématisée sous la forme d’un triangle et, à ses pointes se trouve l’authenticité, la logique et l’empathie. Dès que l’un de ces piliers est ébranlé, la confiance s’effrite, voire disparaît. Prenons chacun de ces éléments plus en détail.


L’authenticité : Acceptez-vous de vous rendre vulnérable, de vous montrer sous votre vrai jour, d’embrasser votre différence et de l’assumer ? Souvent, nous camouflons qui nous sommes vraiment. L’authenticité n’est pas de dire tout haut ce qui ne se dit pas sous prétexte que c’est ce que vous pensez. C’est plutôt d’être dans la conversation présente et dire ou faire quelque chose de vrai. Prenons l’exemple du consultant dans un 5 à 7 à la recherche de nouveaux clients. Il se présente devant vous avec ses solutions toutes faites, il vous écoute d’une oreille distraite et son regard est à la recherche de personnes plus intéressante que vous. Ce manque d’authenticité fera en sorte que vous ne l’appellerez pas. Autre exemple, ce qui a provoqué la vague orange au Québec, c’est entre autres l’authenticité de Jack Layton. Une personne de notre entourage l’a rencontré, il nous a mentionné que pendant qu’il discutait avec Monsieur Layton, ce dernier l’a fait sentir important. Il a accordé de l’attention à ses propos. Il s’est intéressé à lui. Évidemment, il a eu son vote. Ce politicien a probablement gagné le cœur de plusieurs Québécois parce que nous avons eu collectivement l’impression d’avoir accès à la vraie personne, ce qu’il pense et ce qu’il ressent, bien qu’il ait toujours respecté un certain décorum.


L’authenticité n’est pas de confier son plus grand secret, mais d’être dans la conversation présente et de mentionner quelque chose de sincère et de vrai au moment où vous le dites. L’humain a une sorte de détecteur qui permet de savoir si une personne est authentique. Rien ne sert d’être un livre ouvert si nous ne sommes pas à la bonne page.


La logique : Cette logique se présente en deux volets. Le premier : la qualité de la logique, donc le jugement, le bon sens. Si cet aspect n’est pas présent, il y a malheureusement peu de choses que nous puissions faire. Heureusement, ce n’est pas sur le premier volet que les choses accrochent généralement, mais sur le second : la communication. Il faut reconnaître nos capacités à communiquer. Certains sont des conteurs exceptionnels alors que d’autres doivent commencer par la conclusion pour ensuite expliquer le raisonnement. Nous devons aussi comprendre à quoi s’attend notre auditoire.


L’empathie : Le temps de comprendre les autres, de s’arrêter et de se mettre à la place de l’autre. Qui parmi nous ne s’est jamais montré intransigeant, qui n’a jamais dit : je ne comprends pas pourquoi il ne comprend pas, c’est pourtant clair. Combien de décisions avez-vous prises, de projets avez-vous menés, de changements avez-vous implantés et pour lesquels un employé, un gestionnaire a remis en question ce que vous présentiez et, plutôt que de tenter de comprendre sa préoccupation, vous avez jugé l’individu ? Nous le faisons tous, c’est humain, mais quelquefois c’est ce qui rend nos idées de génie inopérantes. Nous ne prenons pas le temps de nous mettre à la place de l’autre. Difficile de faire confiance à une personne qui est plutôt en mode défensif qu’en mode écoute. N’est-ce pas ? Un gestionnaire nous a déjà gentiment expliqué qu’il préférait mourir incompris que d’avoir à se justifier. Très authentique comme phrase, plus ou moins logique dans un contexte humain et certainement pas empathique. Pas besoin d’un sondage de mobilisation pour comprendre que ce gestionnaire ne faisait pas l’unanimité.


Maintenant que se passe-t-il dans notre corps lorsque nous avons confiance ?


La présence de la confiance fait apparaître une hormone dans notre sang, l’ocytocine. Cette hormone, comparativement à d’autres comme la dopamine et l’endorphine, n’apparaît que dans nos interactions, que celles-ci soient en personne ou virtuelles. Selon des études récentes et le chercheur Paul Zack, neuroéconomiste, auteur du livre Trust Factor, les professionnels en gestion des ressources humaines et gestionnaires devraient viser à générer cette molécule dans leurs organisations.


Malheureusement, nos programmes de gestion et nos interactions génèrent quelques fois plus de cortisol. Cette hormone met tout notre corps en situation de défense. C’est l’hormone de stress. La présence de cette hormone dans le sang inhibe la possibilité de générer de l’ocytocine. C’est malheureusement dans ces contextes que certaines personnes croient à tort que la rémunération va arranger les choses. Donc plutôt que de corriger l’enjeu créé par l’absence de confiance, certains préfèrent utiliser la rémunération comme monnaie d’échange.


Le travail de gestion n’est donc pas si compliqué : accroître la présence de l’ocytocine et réduire le cortisol. Si le principe n’est pas compliqué, y arriver est complexe. Voici donc 3 principes que nous croyons importants à mettre en place que la gestion se fasse dans un bureau ou à distance. Et un extra spécifique au télétravail.


1. Faire confiance pour générer de la confiance


Les organisations qui ne l’ont pas compris et qui vénèrent le micromanagement prennent beaucoup de retard et risquent d’avoir des problèmes au niveau de l’attraction et de la rétention. Être un gestionnaire ou un professionnel en gestion des ressources humaines consiste à opérer un véritable changement dans les organisations. Il y a un véritable travail d’éducation et d’influence à faire et nous avons des arguments scientifiques à mettre sur la table.


Comme gestionnaire, vous êtes vous déjà demandé pourquoi vos employés n’avaient pas confiance en vous ? Vous êtes-vous par la suite posé la question : ai-je confiance en eux ? Et c’est la même chose pour les employés. Nous sommes intervenus dans des organisations pour faire des diagnostics et les employés nous disent : « mon gestionnaire ne me fait pas confiance ». Vous imaginez notre question : faites-vous confiance à votre gestionnaire ?


C’est comme dans une relation de couple, pas de confiance, pas de couple. Au travail, pas de confiance, pas de relation professionnelle.


2. Personnaliser son approche


Le concept de l’expérience-client est bien ancré en marketing et en ressources humaines, nous parlons d’expérience-employé. Mais de quoi parlons-nous exactement ? Nous parlons de la personnalisation de l’expérience. Nous parlons donc d’adapter la gestion aux préférences d’un individu de façon à ce qu’il vive une expérience des plus enrichissante. Cette notion de personnalisation implique indéniablement de tisser une relation de proximité avec les employés pour activer les bons leviers favorisant une performance optimale des individus et des équipes. Cette personnalisation de l’environnement passe par une culture organisationnelle forte, portée en partie par le gestionnaire qui, dans sa gestion quotidienne, agit comme coach.


Vous avez 10 employés dans votre équipe, vous devrez inévitablement connaître les bons leviers de chacun, connaître leurs forces, les mettre de l’avant, choisir des projets où ils excelleront et les accompagner dans leur développement. Cela implique d’établir une relation professionnelle personnalisée avec eux. En passant, établir une relation avec vos employés vous permettra d’aborder des sujets plus délicats comme des enjeux de performance ou autres difficultés avec plus d’aisance.


3. Répondre aux besoins de vos collaborateurs


La théorie de l’autodétermination fait référence à trois besoins fondamentaux (Morin et Aubé, 2007) pour amener les employés à être motivés au travail et pourquoi pas, plus heureux.


I. L’autonomie : Vos employés ont-ils tout ce dont ils ont besoin pour bien réaliser leur travail ?

· Outils, possibilité de prendre des décisions et de choisir des méthodes de travail, l’information nécessaire pour faire le travail, l’implication dans les changements, la confiance, le partage d’information entre les équipes.


II. La compétence : Vos employés ont-ils toutes les compétences pour exécuter leur travail ? Connaissent-ils les règles du jeu pour optimiser leur impact, connaissent-ils les comportements attendus et les résultats souhaités ?

· Opportunités de développement, appréciation de la contribution, rétroaction, possibilité de progression (défis, promotion, mobilité).


III. L’affiliation : Vos employés sont-ils acceptés, inclus (même s’ils travaillent à distance), sont-ils soutenus ?

· Le climat de travail, la reconnaissance, la collaboration, le respect.


Le gestionnaire et les employés qui orientent leurs actions vers la satisfaction de leurs besoins devraient être plus motivés et fort probablement plus performants (Zak, 2017). La performance n’est pas un concept entièrement déconnecté du bonheur au travail.


4. Changer ses paradigmes (un extra pour le télétravail)


Le télétravail implique de travailler tout comme gérer à distance implique de gérer. Vous avez peut-être déjà vécu cela. Nous oui, nous l’avons vécu et constaté à plusieurs reprises dans les organisations. Le gestionnaire qui ne veut pas appeler son employé parce qu’il est à distance. « Je vais peut-être le déranger ». Mettons les choses au clair, quand vous rentrez à l’improviste dans son bureau, vous le dérangez. Ça ne vous gêne pas trop ? Non ? Parfait ! Même chose pendant les heures de travail lorsque ce même employé est à la maison. Il ne répond pas… il doit être en train de faire une brassée de linge. Oui et après ? Nous allons vous dire un secret : parfois, votre employé est au bureau puis il va voir une collègue et, savez-vous quoi, ils se parlent pendant 30 minutes de plein de choses, mais pas de travail. Sacrilège, nous savons. C’est épouvantable. Pire, votre employé réussit à livrer tout de même ce qu’il doit livrer. Ça n’a pas de sens !


Il y aurait bien d’autres éléments à tenir en compte et des pratiques avec lesquels se familiariser. S’intéresser et tenter de comprendre comment fonctionne l’humain est la base. Certaines personnes l’ont naturellement et d’autres doivent apprendre, y mettre plus d’efforts. La gestion ce n’est pas seulement le titre que vous portez, ce sont les comportements que vous adoptez, que cette gestion soit à distance ou dans les bureaux.

Bibliographie

1. Frei, F., Morriss, A. (2020). « Begin with trust », Harvard Business Review, vol. 98, p. 112-121

2. Lainey, Pierre. (2008). Le leadership organisationnel, de la pratique à la théorie, Montréal, Chenelière Éducation, p. 261 p.

3. Morin, E. M., Aubé, C. (2007). Psychologie et management, Chenelière Éducation, 477 p.

4. Schwartz, Barry (2014). The way we think about work is broken, TED. Récupéré le 27 mai de https://www.ted.com/talks/barry_schwartz_the_way_we_think_about_work_is_broken

5. Schmouker, O. (2020). « Voici comment les employeur voient le retour au travail », Récupéré le 27 mai 2020 de https://www.lesaffaires.com/blogues/l-economie-en-version-corsee/voici-comment-les-employeurs-voient-le-retour-au-travail/617749

6. Zak, P. J., (2017). Trust Factor : The Science of Creating High-Performance Companies, Amacom, 256 p.

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